C'est
la faim qui fait sortir le loup du bois... Ils étaient
nombreux à cette époque et semaient parfois la
terreur comme à Plésidy et Bourbriac en avril 1851
où un loup enragé provoqua la mort de 13 personnes.
(A.D.
Côtes-d'Armor, 7M 125)
Jacques,
l’aîné des enfants, a maintenant plus de 6
ans. Il porte une sorte de robe comme tous les enfants –
garçons ou filles – de son âge. Sa bonne
mine fait plaisir à voir. Il est souvent dans les jupes de
Jeanne Tilly, sa marraine et la servante de ses parents. Il adore ses
histoires. Mais l’hiver est dur ; Jeanne sent ses forces
diminuer. Et cette toux qui dure ! Le 18 février
1707, elle meurt ; elle a environ 50 ans. Le lendemain, Guillaume Fol
et Marie Cadoret accompagnent son corps jusqu’à
l’église et au cimetière. Blaize Tilly est
là aussi.
C’est le printemps,
mais Guillaume guette déjà dans le ciel la pluie qui
ne vient pas. C’est Marie qui arrive le 27 mars 1707. Elle
est baptisée le même jour à
l’église de Léhart : Guillaume Thoraval et
Marie Le Bars sont ses parrain et marraine.
La
sécheresse, elle, continue. Les chanoines du chapitre de la
cathédrale de Tréguier notent dans leur registre de
délibérations : « Le temps est
beaucoup fascheux et contraire pour le bien de la terre, faute de pluie
». Faudra-t-il décider d’une procession
à Saint Yves ? Est-ce dans le même esprit que les
paroissiens de Léhart dotent leur église
d’une nouvelle cloche ? Elle pèse soixante
livres et s’appelle Jeanne Renée.
Elle est bénie et consacrée en ce lundi de
Pentecôte, 28 mai 1708.
... Marie
n’atteint pas ses deux ans. Le curé de
Léhart mentionne son décès le 20 octobre
1708. Mais voici que Françoise naît à son
tour le 22 janvier 1709. Le parrain est un voisin de Kerscouarhat :
Jean Le Cozléer qui signe (C’est le fils
d’Alain dont nous avons parlé plus haut.) et la
marraine Anne Fol laquelle ne signe, fille de Jacques Fol
du Vieux Bourg de Quintin. C’est la fille de
Jacques Fol, qui entre temps a quitté Kernanouët en
Saint-Gildas pour s’installer au Vieux-Bourg.
Cet
hiver de 1709 est long et terrible. Près des moulins et des
tenues, les loups n’osent s’aventurer sur la glace
des routoirs (endroits où l'on faisait rouir le chanvre) ou
des étangs gelés où l’on a
jeté les cadavres de moutons faute de pouvoir les enfouir en
terre tellement elle est gelée profondément. Leurs
hurlements percent la nuit. Pour les faire taire et pouvoir enfin
dormir, on doit rapprocher les cadavres du bord. De nos jours,
certaines personnes âgées se souviennent encore
d’avoir entendu parler de ce « grand
hiver » sans pouvoir, il est vrai, le situer
précisément dans le temps.
C’est
le cas de Pierre Tocquet né en 1915 que nous avons
rencontré chez lui à la Bouillonnée en
Saint-Donan en janvier 2002 et qui nous a raconté ce qui
précède. Mais les témoignages
d’époque sont nombreux, précis et
convergents, tel celui du curé d’Étrelles
en Ille-et-Vilaine : « Le
sixième jour de janvier, jour des Roys 1709, vers deux heures
et demie d’après-midy, il commença un froid
terrible par un vent du haut, et continua pendant dix-huit jours de
suite, la terre étant couverte de neige...
» (Cité par Jean-Louis Beaucarnot - Qui
étaient nos ancêtres - Ed. J-C
Lattès p. 292)
L’année
suivante, en 1710, de même que de 1712 à 1716, les
pluies sont trop abondantes. Bien avant nous, Guillaume peste contre ces
saisons qui ne sont plus ce qu’elles étaient.
Rien de nouveau donc sous le soleil bien qu’à cette
époque la couche d’ozone n’ait pas
été mise en cause... Et ces excès de chaleur
et de pluie, qui avaient commencé vers 1660, allaient durer
jusqu’en 1725.
Le temps continue
d’être si humide en cette fin de
l’été pourri de 1710, que Guillaume Fol a
du mal à trouver une journée suffisamment
sèche pour pouvoir étendre sur l’aire les
bleds qui y sont entassés. Quand pourra-t-on entendre
à nouveau le claquement rythmé des fléaux ?
Quand pourra-t-on voir les batteurs, face à face sur deux
rangs, frapper la couche de céréales pour faire
jaillir le grain des épis ?
L’arrivée
de Jean Jouan, le voisin, tire soudain Guillaume de ses
pensées : « On paous adkavous me
zad-ker. Maro eo var
en hent. » (On vient de retrouver mon
beau-père. Il
est mort sur un chemin.)
Son beau-père,
c’est Gilles Fol de Coldegroëc, le mari de Marie
Goréguès. Prigent Le Champion, qui se rendait
à Boquého, l'a trouvé mort sur un chemin
entre Pors Coz et Kerleau. Guillaume et Jean se mettent
aussitôt en selle par les chemins détrempés.
Alors qu’ils arrivent à la Croix de Senven, ils
voient arriver le cortège funèbre qui se dirige vers
l’église. En tête, quatre cavaliers : ce
sont les représentants de la juridiction de Liscoët
venus constater le décès. Après
enquête, ils ont conclu que la dépouille de Gilles
Fol peut être enterrée en terre sainte et
bénie. Le Curé de Léhart écrit au
registre des sépultures :
“Ce
jour
26è septembre 1710, à esté inhumé
dans l'église de Léhart, le corps d'honorable homme
gilles fol aagé d'environ 67 ans, lequelle est
décédé d'une mort subite causée par
une chute, a été trouvé mort dans un chemin
; La levée du corps faite par la Juridiction de
Liscöat, le Sieur Séneschal et le Sieur procureur
fiscal, accompagnés d'un chirurgien royal et d'un sergent avec
abondance de peuple. Son frère et son fils présents,
on a visité le corps et les poschettes. Lui avons
trouvé son chapelet pour marque de sa religion et on
déclaré ne lui connaître autre cause de sa
mort que sa chutte et ont permis aux dits parents de transporter le dit
corps jusqu'à l'église de Léhart pour y
être ensépulturé ce que nous avons faites en
présente de Pierre le roy, Geffroy fol et plusieurs autres le
connaissant bon chrétien.".